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TRIBUNE - Macron et la Corse : où est passée la disruption ? (par Pierre Dottelonde, historien)

Photo Facebook Emmanuel Macron

(Francescu Maria Antona - Alta Frequenza) - L'historien et journaliste Pierre Dottelonde, auteur également de nombreux ouvrages sur la Corse, a fait parvenir aujourd'hui à la rédaction d'Alta Frequenza une tribune, après la visite présidentielle de ces deux derniers jours.

Macron et la Corse : où est passée la disruption ?
Par Pierre Dottelonde, historien

Ceux qui espéraient de la disruption de la part d’Emmanuel Macron sur le dossier corse avaient de quoi devenir sceptiques avant même sa première visite présidentielle en Corse. Mais dès les premières phrases prononcées lors de son discours du 7 février dernier à Bastia, la crainte s’est transformée en incrédulité.

Ainsi, aux attentes exprimées à diverses reprises et de façon très majoritaire par les électeurs et les élus de l’île, depuis que l’assemblée territoriale est dirigée par les nationalistes mais également avant, aucune réponse positive n’a été donnée. Le rapprochement des prisonniers résidant en Corse au moment du délit pour lequel ils ont été jugés ? Pas même évoqué, tandis qu’une amnistie pour les prisonniers « politiques » avait, elle, été totalement exclue la veille. La coofficialité du corse avec le français ? Exclue tout aussi nettement. Un statut de résident ? Exclu également, au nom de la constitution française et des règles européennes, M. Macron passant curieusement sous silence le fait qu’au Danemark, pourtant membre de l’Union européenne, seuls les citoyens danois peuvent faire une acquisition immobilière.

Aucun signe de disruption, donc, jusqu’à ce qu’à la 75ème minute d’un discours où il fut beaucoup question de 4G et de fibre, de sécurité et d’hôpitaux, d’agriculture bio et d’Internet…, M. Macron annonce être prêt à proposer d’inscrire la « reconnaissance constitutionnelle de la spécificité de la Corse » dans la réforme qui sera soumise au printemps prochain aux parlementaires (en étant attentif, on aura entendu le président de la République mentionner également la « demande d’une autonomie de la Corse reconnue dans la République », notion qu’il ne reprendra toutefois pas). Mais attention, a précisé aussitôt le chef de l’Etat, la refonte de l’article 72 de la Constitution ne se fera pas sur un « concept » mais sur des « points précis ». Lesquels ? Comme aucune des attentes reliées à cette revendication constitutionnelle n’est admise comme recevable, on se demande bien ce que vont être ces « points précis ».

À cette inconnue – qui devrait, calendrier de la réforme oblige, être levée dans les prochaines semaines – s’ajoutent deux sujets d’inquiétude majeurs.

Le premier tient au constat du peu de poids qu’accorde Paris à l’expression démocratique insulaire. La situation en Corse s’est grandement apaisée ces dernières années, sans doute par lassitude d’une violence aux résultats plutôt ténus mais surtout en raison de l’espoir de plus en plus massivement et régulièrement exprimé dans les urnes que la volonté populaire permettrait d’obtenir satisfaction sur des revendications désormais très majoritaires. Certes, on est cette fois assez loin du fameux « Même 200 000 Corses autonomistes ne pourraient obtenir une modification de la Constitution faite pour 52 millions de Français ! » prononcé en avril 1974 par Libert Bou, mandaté par Jacques Chirac, alors Premier ministre de Valery Giscard d’Estaing, pour tenter de solutionner la « question corse ». Mais si l’attitude de l’Etat consiste en un « Même 100% de voix pour les candidats nationalistes ne sauraient autoriser la co-officialité du corse, un statut de résident et le rapprochement des prisonniers », comment pense-t-on à l’Elysée que le climat en Corse évoluera ? Paris fait-il le pari d’un renoncement de la population ? Les prédécesseurs d’Emmanuel Macron s’y sont essayé au cours des quatre dernières décennies, avec le succès que l’on sait.

L’autre grand sujet d’inquiétude est la méconnaissance dont a fait montre le président de la République de l’état d’esprit des insulaires. L’ouverture ? Mais cela fait déjà fort longtemps que l’université de Corte et les structures insulaires de formation supérieure la pratiquent et nouent et développent des partenariats, particulièrement en Méditerranée. Et c’est ce que pratiquent tous ces jeunes qui, avant de fonder en Corse ces start-up si chères à Emmanuel Macron, parfont leurs études et étoffent leur expérience à l’étranger.

Prenons aussi cette vision d’une « identité corse indissociable de l’identité française » dont on hésite à dire si elle est relève seulement d’une méconnaissance ou bien d’une volonté de refuser l’évidence. Car lorsqu’on observe sur le long terme l’évolution de ces questions d’identité en Corse, on ne peut que constater le recul sensible, particulièrement chez les jeunes, d’un sentiment d’appartenance à la France voire l’expression de plus en plus assumée d’un rejet. Est-ce le but poursuivi que d’encourager la progression de ce phénomène ?

Aujourd’hui, après les deux jours passés en Corse par le président de la République, s’imposent à la fois le constat que la disruption n’était décidément pas du voyage et la crainte que la fin de non recevoir exprimée à l’encontre de trois des quatre revendications majeures plébiscitées à plusieurs reprises par les électeurs insulaires ne compromette sérieusement le climat apaisé et constructif qui s’est imposé depuis deux bonnes années.

Emmanuel Macron a indiqué que les échanges avec les dirigeants nationalistes au pouvoir pour définir sur quoi portera précisément la proposition d’inscription de la spécificité de la Corse à l’article 72 de la Constitution s’achèveront courant mars prochain. Il reste donc peu de temps pour éviter que l’homme dont on attendait beaucoup de l’esprit disruptif ne devienne celui qui aura enterré une chance peut-être unique d’éloigner la Corse d’une…tentation disruptive d’avec la France.